Le lendemain matin, j’avais déjà oublié le sérieux diagnostic que j’avais reçu la veille.  Ma mémoire me jouait des tours.  J’étais encore bien consciente toutefois que j’étais victime d’un trouble de l’humeur du post-partum.

Quand Gerhard, ma mère et Elliot arrivèrent à ma chambre, je remarquai tout de suite que Gerhard transportait avec lui des bagages.  Il m’annonça alors qu’il avait décidé de rester avec moi toutes les nuits, le temps de mon hospitalisation.  Il avait donc apporté un lit de camp et la literie nécessaire à son installation dans ma chambre.  Heureusement, cette dernière était suffisamment spacieuse pour accueillir un deuxième lit.  J’étais heureuse et rassurée de savoir qu’il serait avec moi presqu’en tout temps.  C’est la visite impromptue de l’insensible psychiatre de la veille qui l’avait incité à s’organiser pour rester le plus possible avec moi.  Il voulait éviter que je me retrouve une fois de plus seule lors de la visite d’un médecin et/ou d’un psychiatre qui ferait le suivi sur ma condition.  Il voulait tout savoir en même temps que moi.

Mon humeur prenait du mieux.  Mes émotions ne jouaient plus autant aux montagnes russes.  Pour être un peu plus active et me permettre de me changer un peu les idées, je commençai à prendre quelques marches dans les corridors près de ma chambre avec Elliot bien blotti contre moi dans mon porte bébé.  J’avais besoin de ces instants, seule avec mon bébé, pour me prouver que malgré mon état fragile, j’étais quand même capable de faire quelque chose avec lui par moi-même.  J’avais besoin de retrouver un sentiment de fierté et de confiance en ma capacité d’être mère. Il n’y avait pas lieu de s’inquiéter puisqu’en fait, je n’étais pas vraiment seule avec lui.  La présence constance des infirmières dans les corridors était rassurante.  Certaines d’entre elles commençaient déjà à me reconnaître et à me saluer. Étant la seule patiente sur le plancher avec un nourrisson, il était impossible que je passe inaperçue.

Or, au courant de la journée, un incident mineur vint me troubler.  Elliot pleurait un peu plus qu’à l’habitude, ses pleurs étant très stridents.  Alors que Gerhard et moi tentions de le calmer pendant que je changeais sa couche,  je sentis soudain l’impatience monter en flèche en moi et je me surpris à diriger subitement ma main sur la bouche d’Elliot pour le faire taire. Mais au moment où ma main atteignait ses lèvres, je la retirai immédiatement pour la déposer brusquement sur ma propre bouche.  J’étais stupéfiée par ma réaction envers Elliot.  Je fondis en larmes.  Je m’éloignai de lui en proie à une peur déraisonnée de moi-même et au potentiel que j’avais en moi de lui faire du mal.  Je m’imaginai alors maltraiter mon fils sous l’influence de la psychose du post-partum.  J’étais désemparée.

Ma mère et Gerhard tentèrent alors de me calmer en me disant calmement que je n’avais pas voulu lui faire du mal et que je n’étais pas dans un état de délire qui me pousserait à poser des gestes dangereux.  J’étais sûrement fatiguée et les pleurs d’Elliot me rendaient impatiente.  Malgré leur tentative pour me rassurer, je ne voulus plus m’occuper d’Elliot pour un bon moment, mis à part l’allaitement.  Je ne me faisais plus confiance.  Je redoutais mes réactions. Voyant à quel point je prenais cet incident au sérieux et surtout connaissant ma tendance des derniers jours à trop parler, Gerhard m’encouragea à ne pas en glisser mot aux infirmières.  On ne savait pas comment cela pourrait être interprété par ces dernières et on ne voulait surtout pas que je sois privée de la présence d’Elliot en guise de protection.  Gerhard et ma mère s’assuraient déjà d’être toujours avec moi lorsqu’Elliot était là. Cette réaction de ma part n’était pas coutumière et il n’avait pas lieu de s’en inquiéter outre mesure.  J’avais juste besoin de me reposer et c’est ce que je fis.

Plus tard dans la journée, le couple qui nous avait visités la veille me surpris une fois de plus par une marque d’attention bien particulière.  Mon amie envoya son mari nous porter des repas qu’elle avait préparés pour nourrir Gerhard et ma mère lorsqu’ils étaient avec moi.  De la bonne nourriture maison pour remplacer celle achetée au Tim Horton de l’hôpital.  Quelle gentillesse de sa part! Je lui en fus très reconnaisante.

En fin d’après-midi, lorsque Gerhard alla reconduire ma mère et Elliot à la maison, je décidai de m’occuper à mon ordinateur en faisant un montage vidéo de mes photos de grossesse et de celles d’Elliot prises depuis sa naissance.  Je ne ressentais plus la nécessité de répondre à mes courriels.  Je savais maintenant qu’il était plus sage de ne rien écrire et de ne rien envoyer de ma propre initiative.  J’avais toutefois le besoin de canaliser mon énergie quelque part et de produire quelque chose dont je serais fière.   J’étais totalement absorbée par mon activité prenant soin de joindre la musique la plus appropriée pour chaque série de photos que j’insérais dans mon montage.  J’étais tellement fière de ce dernier que je ne pus résister à l’envie d’appeler une infirmière pour le lui montrer, n’étant plus consciente du véritable usage du bouton d’appel.  Quand l’infirmière se pointa à ma chambre, elle réalisa rapidement que mon besoin n’était ni urgent ni d’ordre physique.  Comme c’était l’heure de pointe et qu’elle était fort occupée à répondre aux demandes plus pressantes des autres patients, elle me dit gentiment qu’elle reviendrait une autre fois.  Je compris sa réponse.  J’eus soudain suffisamment de clarté de conscience pour réaliser que j’étais totalement emballée par mon projet et que mes pensées qui s’étaient remises à rouler à grande vitesse dans ma tête ne tenaient plus compte de la réalité des autres autour de moi.  Ce qui, pour moi, représentait une urgence du moment à partager ne l’était pas du tout pour mon entourage.  Mais je savais que Gerhard prendrait le temps de regarder ce que j’avais réalisé et je me mis alors à l’attendre avec impatience.

Lorsqu’il arriva en début de soirée, nous regardâmes ensemble le montage vidéo. Des larmes de deuil coulèrent sur nos joues en réalisant que nous visionnions la partie la plus merveilleuse de notre vie avant que l’ombre de la maladie mentale s’appesantisse sur nous.  Les photos d’Elliot annonçaient la fin d’un chapitre euphorique, les dernières d’entre elles ayant été prises lors de ma descente dans les abysses de la psychose.  Ce que l’avenir réservait pour moi était flou, incertain et peut-être même un peu angoissant mais nous voulions croire que les beaux jours reviendraient.

Une fois le visionnement terminé, Gerhard me montra ce qu’il avait apporté avec lui dans l’intention de nous divertir.  Il sortit alors de son sac un dvd qu’il inséra dans mon ordinateur.  Il avait loué un film avec l’intention de le regarder en ma compagnie à  l’hôpital.  Je me rappelle avoir été extrêmement touchée par cette marque d’attention de sa part.  Je sentis alors que je comptais énormément pour lui malgré le fait que je n’étais plus la femme « normale » qu’il connaissait.  Il prenait soin de moi passant par-dessus les symptômes de « folie » qui m’assaillaient.

Le début du film ne fut probablement pas de tout repos pour lui.  J’avais un commentaire à dire à propos de plein de détails sans importance. Les scènes qui défilaient sous mes yeux créaient un flot incessant de pensées dans ma tête qui ne demandaient qu’à être exprimées sur le champ.  Heureusement pour lui, je pris conscience de mon excitation cérébrale et pour faire cesser mon verbiage incessant, je posai carrément une main sur ma bouche pour me rappeler de me taire et d’écouter.  Cette technique fonctionna.  Quelques scènes du film nous firent rire aux éclats ce qui nous procura un grand bien.

Une fois notre divertissement terminé,  nous nous préparâmes à nous coucher.  J’avalai ma dose de médicament et avant que je  m’endorme complètement, Gerhard vint se coucher en cuillère à côté de moi.  La chaleur de son étreinte m’emporta dans un sommeil paisible.  Puis il s’allongea sur son propre lit pour la nuit.

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