Aux petites heures du matin, je me réveillai avec les seins engorgés de lait.  Gerhard se réveilla également et m’aida à installer ce qu’il fallait pour extraire mon lait.  J’avais grande peine à garder les yeux ouverts et à maintenir la pompe sur mes seins.  Je cognais des clous et Gerhard dût m’aider à rester éveillée.  En fait, en plus de la fatigue normale de la nuit, ma médication me rendait très somnolente.  C’est un effet secondaire de l’olanzapine et comme ma dose était assez élevée, j’en ressentais grandement les effets.  Toutefois, la somnolence s’atténuait le jour quoique toujours présente.  Une fois le lait recueilli, je me rendormis aussitôt.

Quand je me réveillai le matin, je fus contente de voir Gerhard à mes côtés.  Je me sentais déjà mieux et mon humeur était plus stable.  La médication était efficace et ce qui me rassurait beaucoup était le fait que mes crises de panique avaient disparu.  Je n’en avais plus ressenties depuis le soir où j’avais pris ma première dose de médicament.  C’était un réel soulagement pour moi.  J’avais ainsi l’impression d’avoir plus de contrôle sur ce qui se passait dans ma tête.

Au courant de l’après-midi, Dr. Sayeed se présenta à ma chambre.  Je l’accueillis avec enthousiasme.  J’étais tellement contente de ne plus avoir affaire avec l’autre psychiatre qui occupait une bien mauvaise place dans mon estime!  Gerhard ne se pria pas pour lui raconter la désagréable expérience que j’avais vécue avec ce dernier.  Dr. Sayeed écouta respectueusement mais se garda de passer des commentaires.

Une fois ce sujet abordé, il dirigea son attention sur mon état en me posant quelques questions.  L’effet de ma médication se faisant moins sentir à cette heure de la journée, les symptômes de la manie reprenaient le contrôle de mon esprit.  À maintes  reprises, Gerhard dût avoir recours à notre technique de communication pour restreindre mon discours embrouillé d’informations superflues.  Tous mes souvenirs reliés à ma santé mentale qui se dégradait me semblaient essentiels à mentionner afin que Dr Sayeed puisse avoir le portrait le plus juste de mon état.  Or, ce n’était pas nécessaire. Les informations qu’ils avaient amassées suite à l’analyse de mes symptômes et certaines réponses données suite à ses questions lui suffisaient pour brosser un portrait juste de ma condition.  Son expertise était apparente.

Puis quand nous eûmes fini de répondre à ses questions, il nous annonça le diagnostic précis à partir duquel il allait me traiter.  D’après tous les symptômes que je présentais, il nous affirma que je souffrais d’un trouble bipolaire qui avait débuté après la naissance d’Elliot, c’est-à-dire dans la période du post-partum.  J’étais en fait au beau milieu d’un épisode de manie, ce qui expliquait les surplus incroyables d’énergie que j’avais ressentis, mes pensées et mon langage accélérés, mon manque de concentration et mon irritabilité occasionnelle.   À ce trouble s’ajoutaient aussi des crises de panique ainsi que des symptômes psychotiques qui s’étaient manifestés jusqu’à présent par mes fausses croyances par rapport à la réalité (croire que mon mari allait mourir, que ma sœur allait se suicider, qu’un miracle s’était produit pendant la nuit que j’étais aux urgences) et mes hallucinations tactiles (ressentir un caillot de sang dans ma jambe qui n’était pourtant pas là).  Il prit toutefois la peine de nous mentionner que ce diagnostic n’était pas définitif. Peut-être que mon trouble bipolaire n’était relié qu’à la période du post-partum et qu’il disparaîtrait dans les deux années à venir.  Mais c’était quand même un diagnostic sur lequel il se baserait pour le moment afin de choisir le traitement le plus approprié pour moi.

C’était beaucoup d’information pour moi à enregistrer dans mon cerveau encore engorgé de détails inutiles.  Afin de m’aider à retenir le diagnostic qu’il m’avait posé, je lui demandai de l’écrire sur un bout de papier.  J’avais besoin de le voir écrit sous mes yeux pour mieux le comprendre.  Il faut dire que les termes médicaux anglophones qu’il avait employés sortaient quelque peu de mon champ de compréhension à ce moment-là.  Il écrivit donc l’énoncé suivant : Bipolar disorder of postpartum onset with psychotics features (trouble bipolaire avec début lors du post-partum avec traits de psychose).  Cependant, les seuls mots que mon cerveau réussit alors vraiment à comprendre et à retenir furent bipolar disorder.

Bien que je n’aie pas reçu ce surprenant diagnostic à la légère (c’était un diagnostic sérieux que je n’aurais jamais imaginé recevoir un jour), je n’en fus pas grandement atteinte sur le coup de son annonce.  J’avais même déjà le pressentiment que ce trouble bipolaire me poursuivrait au-delà de la période du post-partum, soit pour le reste de ma vie, et cela, aussi surprenant que cela puisse paraître,  ne m’affectait pas outre mesure pour le moment.  J’avais enfin une réponse adéquate aux maux que je ressentais et cela me soulageait.   Les symptômes de la manie étant toujours présents, je n’étais pas en mesure de réaliser pleinement tous les impacts de cette maladie mentale dans ma vie.  Mon jugement était de toute évidence altéré et ce qui prit de l’ampleur ce jour-là dans ma tête, c’est le désir impétueux de partager mon expérience pour informer d’autres mères et les encourager si elles traversaient une épreuve semblable à la mienne.  J’avais espoir que je retrouverais un équilibre mental et le sentiment d’être moi-même à nouveau.  Je me sentais soudain en mission : cette épreuve n’arrivait pas pour rien dans ma vie et je devais en tirer profit pour informer et aider d’autres mères autour de moi atteintes d’un trouble de l’humeur du post-partum.

En plus de ces plans de conscientisation et d’entraide,  je sentis monter en moi des élans de compassion envers les patients des autres chambres situées sur l’étage.  Lors de mes promenades avec Elliot dans les couloirs de l’aile où j’étais, j’avais remarqué que la plupart des malades étaient en fait des personnes âgées.   Mon attention se porta alors sur la patiente se trouvant dans la chambre voisine à la mienne.  Comme elle ne semblait pas recevoir de visite cette journée-là et qu’elle m’apparaissait plutôt triste, assise près de la fenêtre à fixer la cour intérieure de l’hôpital, je réussis à convaincre ma mère d’aller la voir avec moi, en compagnie d’Elliot.  Je me disais que lui présenter mon bébé et engager une petite conversation avec elle lui changerait sûrement les idées. Et c’est ce que je fis après m’être assurée auprès d’une infirmière que c’était sécuritaire de s’approcher d’elle.  Quelques minutes en sa compagnie suffirent pour me faire réaliser que la dame ne semblait pas comprendre tout ce que je lui disais et qu’elle réagissait très peu à mes propos.  Elle semblait être prisonnière dans son propre monde, probablement le résultat d’un trouble neurologique expliquant son hospitalisation dans le département neurologique où l’on se trouvait. Je la pris en pitié et lorsque je quittai sa chambre, je me promis de lui rendre visite à nouveau le lendemain.

Tous ces élans de compassion ainsi que mes projets prématurés d’entraide commencèrent à inquiéter un peu Gerhard.  Mais il ne me partagea pas ses craintes préférant m’encourager gentiment à prendre soin de moi et à mettre l’accent sur mon rétablissement.

 

Partager:
Facebook Twitter Digg Delicious Reddit Stumbleupon Tumblr Email