Grâce à la médication que le Docteur Sayeed m’avait prescrite, je continuai de prendre du mieux.  Je fus en fait choyée que celle-ci ait été efficace et que je n’aie pas eu à  essayer plus d’un médicament avant de trouver celui qui me convenait. C’est ainsi qu’au bout d’une semaine d’hospitalisation, on nous annonça que je pouvais retourner à la maison.  Cela me surprit car bien que je fusse consciente que mon état s’améliorait, je ne me sentais guère prête de quitter l’environnement hospitalier.  Je me savais en sécurité dans ce lieu qui était finalement devenu ma bouée de sauvetage dans cette crise mentale que je traversais.  J’appréciais les visites de Dr Sayeed; elles me rassuraient.  Les infirmières étaient aussi devenues mes alliées.  Elles m’encourageaient et me manifestaient maintenant beaucoup de compassion surtout quand, chaque soir, je devais dire au revoir à mon bébé qui me quittait pour la nuit.    Mon cœur se serrait toujours quand les portes de l’ascenseur se refermaient entre nous.

La travailleuse sociale qui m’avait visitée au début de mon hospitalisation vint me voir une dernière fois avant mon départ.  Le but de cette rencontre était surtout de s’assurer que nous avions établi un bon plan pour faciliter mon rétablissement à la maison et surtout que nous avions un filet de sécurité en place adviendrait le cas où mon état mental se détériorait de façon inquiétante à nouveau.  Comme nous ne pouvions plus compter sur la présence de ma mère qui allait retourner chez elle, la travailleuse sociale voulait être certaine que j’aurais le support nécessaire pour bien m’occuper d’Elliot et que sa sécurité ne serait pas menacée. Heureusement pour nous, Gerhard venait de démarrer sa propre entreprise et travaillait désormais de la maison, sans être bien occupé pour le moment.  Je ne me retrouverais donc pas seule avec Elliot, une situation qu’il fallait éviter pour le moment puisque mon humeur n’était pas encore suffisamment stable.  On ne voulait surtout pas que l’agence de la protection de la jeunesse se pointe pour gérer notre situation.

Cette discussion, bien que nécessaire, ne m’enchanta guère car elle était la preuve que ma maladie mentale m’empêchait de prodiguer moi-même tous les soins et l’attention nécessaire à Elliot à tout moment.  Ce fut un coup dur pour mon égo.  Je désirais ce qu’il y avait de mieux pour mon fils et l’idée que je ne pouvais pas encore contrôler pleinement mon état mental pour assurer pleinement sa sécurité et son bien-être m’effrayait.  Je me sentais impuissante et totalement dépendante de Gerhard.  Or, ce qui me faisait le plus peur, c’était de retourner à la maison.  Je l’avais quittée au beau milieu de mon épisode psychotique et les souvenirs que j’en gardais étaient sombres et douloureux.  Je redoutais qu’en remettant les pieds dans ce lieu qui avait vu naître ma souffrance qu’elle referait surface malgré moi.  Comme je le dis si clairement à la travailleuse sociale : « J’y ai vécu l’enfer…  Je ne suis pas prête d’y retourner! »  Cette dernière semblait bien comprendre mon tourment et elle me prit alors à part pour me parler.  Se voulant à la fois compatissante et rassurante, elle me fit comprendre que mon état qui s’était amélioré ne justifiait pas qu’on me garde plus longtemps à l’hôpital.  J’étais entre bonnes mains avec mon mari.   Pour mon bien-être et celui d’Elliot et Gerhard, il était de mise que je continue mon rétablissement à la maison.  Avant de me quitter, elle m’offrit  une rencontre supplémentaire à son bureau au courant de la semaine suivant ma sortie de l’hôpital.  Cela me réconforta.

Dr. Sayeed vint aussi me voir avant mon départ.  Il m’expliqua alors qu’il allait assurer un suivi auprès de moi dans les semaines et les mois à venir.   Je devrais donc me rendre à l’hôpital, dans le département de la consultation externe, pour mes rendez-vous avec lui.  Nous fixâmes alors tout de suite le premier rendez-vous.  Cela me rassura.  Je sentais qu’on prenait soin de moi et que je ne serais pas livrée à moi-même pour reconquérir ma stabilité mentale.

À contre cœur mais avec un peu plus d’espoir, je commençai donc à ranger mes effets personnels.  C’est alors que l’infirmière-chef du département se pointa à ma chambre pour m’offrir ses salutations.  Son attitude chaleureuse me fit chaud au cœur.  Elle me demanda la permission de prendre Elliot.  Il était tellement rare de voir des bébés dans son département qu’elle voulait se gâter en cajolant le mien.  Elle ne se gêna pas pour faire un petit tour dans le corridor et le montrer à son équipe.

Quand elle revint à ma chambre, je profitai de l’occasion pour lui faire part de mes sentiments au sujet de la façon dont son personnel s’était comporté avec moi depuis mon arrivée dans son département.  Je mis l’accent sur le fait qu’au début, quelques infirmières se montrèrent peu chaleureuses et que certaines de mes demandes avaient été ignorées.  J’avais eu nettement l’impression qu’on pensait que je n’avais pas toute ma tête.  Certes, mes agissements avaient été anormaux mais cela ne justifiait pas une attitude peu professionnelle à mon égard.  Mon cas avait été une exception.  J’aurais dû être placée dans le département de psychiatrie là où les infirmières auraient rapidement compris mon état.  Or, cela n’avait pas été possible à cause de la présence de mon bébé.  Je lui dis qu’il aurait été bénéfique pour moi que tout son personnel ait été averti de ma situation particulière pour pouvoir mieux y réagir. Et qui sait?  Peut-être qu’une autre patiente dans la même situation que moi se retrouverait dans leur département un de ces jours.  Une bonne compréhension des symptômes reliés aux troubles de l’humeur du post-partum serait alors un grand atout pour ses infirmières, voire pour celles des urgences également (Gerhard lui raconta notre mauvaise expérience).  Enfin, pour ne pas paraître trop négative, j’ajoutai que certaines de ses infirmières s’étaient montrées très empathiques et bienveillantes envers moi dès le début et que je leur étais grandement reconnaissante.

À mon grand plaisir, elle reçut mes commentaires avec une belle ouverture.  Elle me promit qu’elle passerait le mot à son personnel.  Elle nous suggéra même de soumettre une plainte à l’urgence au sujet de la façon dont j’avais été traitée.  Puis elle nous laissa sur une note d’encouragement à mon égard et avec un large sourire qui se grava dans ma mémoire.

Mes effets personnels ramassés et une nouvelle parcelle de courage en main, je me sentis un peu plus prête à quitter ma chambre d’hôpital.  Mais avant de partir, je voulais à tout prix dire au revoir à ma voisine de chambre à qui j’avais déjà rendu visite.  Quelle ne fut pas ma déception quand, après avoir constaté que sa chambre était vide, on m’annonça qu’elle avait déjà reçu son congé d’hôpital.  Le mieux que je sus faire alors fut de la saluer en pensée en lui souhaitant un bon rétablissement.

Avant de quitter l’hôpital, nous passâmes par la pharmacie pour aller chercher mon médicament.  La pharmacienne se montra très amicale et prit le temps de bien m’expliquer les effets secondaires possibles et les contre-indications.  Quand vint le temps de payer, Gerhard et moi avalèrent un peu de travers en apercevant le prix élevé de mes trente petites pilules. Notre budget était serré puisque j’étais sur l’assurance-emploi et que le revenu de Gerhard était très maigre.  Nous n’avions ni l’un ni l’autre une assurance-médicament pour le moment. Mais nous savions trop bien à quel point cette médication était vitale et qu’il était prioritaire que je la prenne.  Pas question de m’en passer!  On allait donc se serrer la ceinture et piger dans nos économies si nécessaire.  Il fallait avoir confiance que nos finances s’amélioreraient sous peu grâce au développement de l’entreprise de Gerhard.   J’espérais aussi revenir sur le marché du travail à la fin de mon congé de maternité, si mon état mental me le permettrait.

Quand nous sortîmes de l’hôpital et que nous nous dirigeâmes vers le stationnement, je me sentis soudain soulagée de quitter ces lieux dorénavant associés à ma maladie mentale mais aussi craintive face à mon rétablissement à la maison.  Mon avenir était incertain et je me sentais si peu en confiance avec moi-même.  Mais je savais que je devais garder la tête haute et avancer bravement.  Je le devais. Pour mon fils…

 

Partager:
Facebook Twitter Digg Delicious Reddit Stumbleupon Tumblr Email