Il était déjà près de minuit et Gerhard était manifestement très fatigué. Cela faisait près de huit heures que nous étions à l’urgence.  Mon état s’était stabilisé et les résultats des prises de sang et d’urine ne démontrèrent rien d’anormal. Le médecin décida quand même de me garder sous observation pour la nuit dans une autre salle plus calme.  Cela me rassura.  Bien qu’on ne m’eût toujours pas posé de diagnostic précis, je me sentais plus en confiance en restant à l’hôpital plutôt que d’être renvoyée à la maison.  Une fois qu’on m’eût installée dans un nouveau lit, Gerhard me quitta pour aller se reposer à la maison.  Il  serait de retour dès le matin.  Elliot resta avec moi afin que je puisse continuer de l’allaiter.

J’étais moi aussi très fatiguée et je réussis à m’endormir sans trop de peine.  Mais la grande quantité de soluté qui continuait de m’être administré eut tôt fait de remplir considérablement ma vessie et je me réveillai alors quelques heures plus tard avec une envie pressante d’aller aux toilettes.  Elliot dormait toujours dans son siège alors j’en profitai pour me lever et demander à l’infirmière de garde où se situait la salle de bain.  Une fois y être allée, je constatai que j’avais besoin d’une autre serviette sanitaire, mes saignements suite à l’accouchement n’étant pas encore terminés.  En me rendant à mon lit, je demandai donc à l’infirmière de m’en procurer une.  En l’attendant, assise sur mon lit, je réalisai que je me sentais soudainement en très grande forme.  Mes étourdissements et mes tremblements avaient disparus et un surplus d’énergie m’envahissait malgré mes quelques heures de sommeil.  Je pensai alors que c’était un miracle.  Dieu avait pris soin de moi  et m’avait guérie !  J’étais maintenant prête à retourner à la maison.

Quand l’infirmière réapparut pour me donner une serviette sanitaire et pour vérifier si le sac de soluté était vide, j’engageai alors une conversation avec elle.  Je me sentais si bien que je n’hésitai pas à lui demander si elle croyait aux miracles.  J’étais si convaincue d’être miraculeusement guérie que l’idée ne me traversa pas l’esprit que mon discours pourrait sembler très louche à l’infirmière.  Sans pour autant laisser transparaître ses doutes sur l’état de ma santé mentale, elle répondit à ma question par l’affirmative. J’enchaînai alors en lui disant que je croyais que Dieu avait répondu à ma prière et que je me sentais tout à fait guérie.  Pour la convaincre davantage de mon point, j’ajoutai que mon niveau d’énergie était à un point tel que je me sentais capable de courir un marathon. Et je le croyais vraiment!

Je n’eus pas besoin d’en dire davantage pour que l’infirmière suspecte que quelque chose n’allait pas bien avec moi.  Je ne sais pas si, à ce moment, elle avait reçu un diagnostic sur mon état de la part du médecin qui m’avait vue plus tôt dans la soirée.  Toujours est-il qu’elle prit mes paroles très au sérieux.  Tout en continuant de me parler pour me distraire, elle en profita pour déplacer mes chaussures sous le lit, hors de ma portée.  J’ai bien l’impression qu’elle crut que j’allais affectivement quitter soudainement la salle pour sortir de l’hôpital et aller courir ce marathon! Je me rappelle très bien que ce n’était pas mon intention quoique  l’énergie que je ressentais alors me faisait croire que j’aurais pu facilement le faire!

Quand j’eus fini de discuter avec elle, je me levai de mon lit en quête de mes souliers pour me rendre de nouveau à la salle de bain.  Je cherchai partout autour du lit, mais en vain.  Je ne comprenais pas où ils avaient bien pu disparaître.  Je me rendis donc en pied de bas aux toilettes en prenant soin d’avertir l’infirmière que je ne retrouvais plus mes souliers.

Une fois de retour à mon lit, Elliot se réveilla et commença à pleurer afin que je lui donne son boire de la nuit.  Je le sortis donc de son siège et l’installai sur moi pour l’allaiter.  J’avais à peine commencé à le faire boire que l’infirmière se présenta accompagné de deux infirmiers et d’une civière.  Je ne comprenais pas ce qui se passait.  L’infirmière m’expliqua alors qu’ils allaient prendre Elliot et l’amener avec eux à l’étage de la maternité où on s’occuperait de lui.  Ce fut un choc pour moi.  Tout se bousculait rapidement dans ma tête mais j’eus le réflexe de lui demander de m’accorder une quinzaine de minutes pour terminer le boire d’Elliot.  Elle acquiesça à ma demande et les trois se retirèrent pour me laisser un peu d’intimité avec mon fils.

Aussitôt que j’eus fini d’allaiter, je remis Elliot dans son siège et je m’emparai du téléphone pour appeler Gerhard.  J’étais paniquée. Je ne comprenais plus ce qui se passait et je voulais à tout prix empêcher qu’on m’enlève Elliot.  Me prenait-on pour une folle ?  Il était environ quatre heures du matin et le téléphone sonna à plusieurs reprises avant que Gerhard ne réponde d’une voix endormie.  En prenant soin de ne pas parler trop fort afin que l’infirmière ne m’entende pas, je lui déballai la situation à un rythme effréné en le suppliant de venir me rejoindre à l’hôpital le plus tôt possible.  Il me répondit qu’il ferait de son mieux pour arriver sous peu.

Une fois que j’eus raccroché, l’infirmière se présenta à nouveau.  Je lui expliquai tout de suite que j’avais parlé avec mon mari et qu’il était en chemin.  Je lui demandai si je pouvais alors garder Elliot.  Constatant que je disais probablement la vérité, elle décida de laisser Elliot avec moi et retourna à ses fonctions.  Quand je me retrouvai de nouveau seule avec mon fils qui était encore réveillé mais bien tranquille, je commençai à lui parler sans aucune retenue.  Je me rappelle lui avoir dit : «  Dieu a fait un miracle et  tous les deux, on va leur prouver que je suis guérie.  Ils n’ont pas raison de vouloir te prendre pour s’occuper de toi.  Je suis très capable de le faire seule. Tu vas voir, on va leur prouver!»

Je ne sais pas si l’infirmière m’entendit parler tout haut à mon fils.  Chose certaine, même si elle ne pouvait pas comprendre ce que je disais en français à Elliot, la ferveur qui se dégageait de mes propos ne devait probablement pas la rassurer sur mon état.

C’est lorsque je me rendis une fois de plus aux toilettes que j’aperçus Gerhard qui arrivait.  Il se présenta brièvement à l’infirmière avant de se diriger vers moi.  J’étais tellement contente de le voir !  Je ne pouvais contenir toute l’excitation que je ressentais.  Je me suis tout de suite mise à lui raconter avec exubérance que je me sentais en pleine forme.  Mais mon euphorie fut rapidement assombrie par la vague d’inquiétude que je lus sur le visage de mon mari.  De toute évidence, quelque chose n’allait pas et je savais que ce n’était pas le fait que mon appel avait interrompu son sommeil.  Il m’invita alors à aller m’asseoir sur mon lit et il s’installa sur une chaise en face de moi.

Avec douceur et sensibilité, il me demanda de l’écouter attentivement pour qu’il puisse m’expliquer ce qui se passait.  Suite à mon appel, il avait réussi à rejoindre une de nos sages-femmes pour lui faire état de ma situation.  D’après mes symptômes, elle soupçonnait que je sois en train de vivre des troubles de l’humeur reliés à la période du post-partum. .Elle lui mentionna notamment la psychose du post-partum.  Cela pouvait expliquer que l’on ne voulait pas laisser Elliot seul en ma compagnie.

J’étais maintenant toute ouïe.  Il était évident que Gerhard était très préoccupé par mon état. Tout de suite après avoir parlé avec la sage-femme, il était allé faire une recherche sur internet portant sur la psychose du post-partum.  Ce qu’il trouva le bouleversa.

 

 

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